Son œuvre dit son attachement à ce qui dure et sa tendresse pour l’éphémère ; elle ne manque ni de solidité ni de la force. De nombreuses marines et scènes de genre auprès de fontaines ou de lavoirs illustrent de façon éclatante le rapport traditionnel à l’eau des peintres marseillais et plus généralement des Provençaux. Ses vues du littoral provençal sont caractérisées par un aspect lumineux, équilibré et serein et tracent le portrait d’un « midi paisible ». Sa discrète géométrie transparait aussi bien dans la construction de ses ports que dans ces rues de villages que viennent adoucir la rondeur des fontaines et le dos voûté des lavandières.
Une longue fidélité
L’œuvre de Garibaldi relève d’une technique picturale faite de fidélité dans le rendu et d’amour de sa tâche. Son attachement pour la tradition le conduit à refuser les avant–gardes et leurs innovations picturales, et les traces, à ses yeux détestables, d’un monde industriel et mécanisé ; ainsi il évince systématiquement de ses vues du Vieux-Port de Marseille l’image abhorrée du pont Transbordeur. Mais, son idéal n’est pas seulement d’être à contre–courant d’une modernité galopante, il l’énonce lui–même : « Travailler, se retremper souvent aux sources du beau en étudiant les œuvres des maîtres et se dire qu’il faut, chez les artistes, de la personnalité et de l’honnêteté en art comme dans la vie ».
Cette « honnêteté » qu’il revendique, dont témoigne toute une vie d’amour des humbles et de dévouement à autrui et qui se traduit dans ses toiles par un regard bienveillant porté sur les travaux et les jours comme sur la ronde de la lumière parmi les formes du monde, ne va pas sans affirmation d’une « personnalité ». On la découvre dans sa prédilection pour les modestes objets du quotidien comme ces « tians » sur lesquels il fait étinceler dans l’ombre un éclat de lumière ou pour les bêtes de bât, ânes et mulets qu’il se plaît à peindre comme autant de compagnons sur les routes poussiéreuses, où de bon matin il part sur le motif.
Un Midi lumineux
Les vastes espaces vides de tout sujet au premier–plan permettent à la vue de s’évader vers tantôt une voile, tantôt une carriole, et de vastes ciels emplissent aussi souvent ses toiles. « La vue de la Joliette » (collection Fondation Regards de Provence), grâce à une composition agencée en « M » couché, unit mouvement des nuages et élan des navires, bleu ténu du ciel et bleu placide de la mer qu’avivent de plaques foncées quelques risées, et oriente le regard vers l’espace libre de la passe. Dans le même temps et rétablissant l’équilibre vers la droite, un haut voilier à contre–jour et la masse éclatante de la Major lui permettent de revenir littéralement au port tandis que, symboliquement, se croisent, comme le feraient le nouveau et l’ancien monde, un paquebot en partance et une tartane traditionnelle.
Entre le bleu impeccable du ciel et le lisse des eaux, « La vue de Cassis depuis le quai des Baux » de 1893 livre au regard des gris roses et des mauves délicats dans les voilures, fait chanter l’ocre de ces tartanes qui ponctuent tant de ses ports, insère avec naturel scène de genre et nature morte et fait jouer, à peine disloqués, quelques reflets : c’est bien là un midi paisible.
Garibaldi n’est pas portraitiste ; tout comme Guigou, Olive et Ponson, il se contente soit de micro–personnages peuplant ses vues panoramiques soit de corps saisis dans le labeur quotidien et par la pesanteur de leur tâche. Ce qui l’intéresse est l’humain, le travail artisanal et traditionnel loin des tumultes de l’époque, ce qu’il représente c’est une Provence éternisée par sa lumière et une mer étale.
Ce peintre d’un bonheur d’antan à préserver sur ses toiles ne peut cependant qu’être guetté par la nostalgie d’un monde qui s’en va et la crainte des foudres qui s’abattent sur ce qu’il aime. Et de fait il arrive que dans ses vues de Fos s’amoncellent les nuages gris, qu’en bordure de la Camargue dans les années 30 la mer soudain écume, grise et violente, ou déjà qu’à l’orée du désastre de 14, surplombant un navire rouge minium, pèsent des nuées noires sur un port que nous découvre une éclaircie fulgurante.
La courbe d’une carrière
Issu d’un milieu modeste d’immigrés italiens, le jeune Garibaldi est aiguillonné par un père amateur d’art. Comme Jean–Baptiste Olive, son aîné, et Etienne Martin, son camarade, il a la chance de devenir l’élève, voire le disciple préféré d’Antoine Vollon. Mieux que toute Ecole des Beaux–Arts, ce peintre renommé l’initie aux secrets de son art et favorise sa carrière en l’introduisant au Salon parisien.
La fidélité le caractérise dans ses relations avec son père spirituel, ses amis, mais aussi avec la Méditerranée. Exposant au Salon de 1884 à 1914, il y connait des succès (mention honorable en 87 et médaille de 3ème classe en 97) et notamment grâce aux vues de monuments de la Provence qui séduisent un jury officiel en même temps qu’elles signalent la fibre félibréenne du peintre. Dédaignant cependant faveurs et honneurs, il s’attache à des sujets plus humbles et quotidiens.
Il se consacre ainsi à la quiétude de petits ports dans la lumière du matin à Bandol, à Sanary, et particulièrement à Cassis où il est assidu entre 1884 et 1897. Il peint le Vieux–Port de Marseille à toutes les heures du jour et sous tous les angles depuis les fenêtres de son atelier quai de Rive Neuve.
Ce peintre amateur de photographie fait une incursion à Evian et sur les bords du Léman à l’appel de son ami Antoine Lumière, mais c’est à La Ciotat qu’ils se retrouvent le plus souvent. Il se rend deux fois dans le nord de la Corse, à deux reprises aussi à Venise, mais à partir de 1904, année où il cesse de dater ses toiles, le Midi seul retient son attention, un Midi désormais intemporel. L’âge venant, il partage son temps entre Fos (où il possède un appartement et un cabanon sur la plage) et son atelier marseillais.
Son champ de vision se réduit avec son champ d’action : dans les années 30 ses yeux sont atteints par un glaucome, son pinceau dont on vante la finesse perd de sa précision, les contours des objets deviennent flottants, leurs couleurs s’affadissent ou se font criardes, le rose et le mauve dont il était friand envahissent ses petits panneaux de bois. Et, comme à son insu, le voici donnant avec retard dans le post–impressionnisme. Drame d’une fin de vie où le peintre lutte contre l’inéluctable en multipliant avec acharnement les variations sur la côte et les étangs de Fos, sur barques et sardiniols dans le port de Marseille, indéfectiblement fidèle à ses rives.
L’ouvrage « Joseph Garibaldi, un Midi paisible », édité par l’Association Regards de Provence, reproduira les œuvres de l’exposition avec des textes de l’historien de l’art Pierre Murat (dont le communiqué s’inspire). A l’occasion de cette exposition, la Fondation publie le premier catalogue raisonné de l’œuvre d’un peintre présent dans de nombreux musées et dont on redécouvre les mérites.