L’exposition « Marseille Digne, de la ville à la campagne – L’œuvre de Paul et Etienne Martin » met en parallèle deux villes antagonistes, l’une industrielle, l’autre rurale et dévoile une sélection d’aquarelles de Paul Martin, père, et de peintures à l’huile d’Etienne Philippe Martin, fils, sur la Provence, prêtées par le Musée Gassendi de Digne, en particulier, et d’autres Musées et collectionneurs privés.
Cette exposition donne l’occasion d’évoquer brièvement les chemins de chacun. Paul Martin (1830 – 1903), issue d’une famille dignoise traditionaliste, est antiquaire et marchand de tableaux, organisateur des expositions du fameux Cercle Artistique de Marseille. Aquarelliste de renom, ses paysages des environs de Digne sont alors recherchés jusqu’en Belgique et aux Etats-Unis. Etienne Philippe Martin (1856 – 1945), fils unique de Paul Martin, doit à son père l’éveil de sa sensibilité artistique, sa formation, son goût délicat. Sa conduite est réglée par la continuité de l’oeuvre de son père et la quête de son dépassement : application du métier pictural, préférence de l’huile à l’aquarelle, reconnaissance au Salon, publications multiples, création du Musée de Digne. Etienne Martin est initié aux subtilités techniques de l’huile et charmé par le réalisme lyrique d’Antoine Vollon (1833 – 1900), chef de file de la peinture provençale. Il s’est aussi inspiré du naturalisme d’Alphonse Moutte (1840 – 1913), directeur de l’Ecole des Beaux arts de Marseille. Il devient plus tard président de l’Association des Artistes Marseillais et directeur de l’Académie de Marseille.
Tout au long de leur carrière, les deux artistes abordent et revisitent les sujets qui les touchent, la ville et la campagne, appliquant leur naturalisme photographique. Peintres itinérants, ils ont conçu tout un inventaire de la nature locale, qu’ils déclinent selon les heures du jour, les saisons et les années. Nostalgiques d’une époque préindustrielle en voie de disparition, les Martin demeurent les irremplaçables témoins d’un monde rural qui est aussi en mutation.
Paul Martin est un dessinateur avisé. Dans sa peinture coloriste, il a su traduire les Basses-Alpes dans leur rusticité, en évoquant des vues topographiques variées. Sensible à la poésie des montagnes et de la campagne, Paul Martin marie la finesse de la lumière à l’aridité et à la solidité du sol. Son naturalisme est une réserve de sensations fraîches. Chaque aquarelle parle d’émotion à la manière d’un journal intime et évoque cette utopie d’une Provence éternelle.
Musicien accompli, sensible à l’harmonie, Etienne Martin voit la nature en poète sentimental. La perception lyrique de sa région se constitue à travers le filtre félibréen à une époque où Mistral incarne à lui seul la Provence. Il se complet dans le mythe d’une Provence immobile ; il maintient l’illusion d’une Provence figée. Il se lamente de l’effondrement du pittoresque dont l’exemple du Vieux-Port de Marseille revient comme un leit-motiv. « Quand je me remémore les visions de ma prime jeunesse, je revois, comme dans un rêve enchanté, cette légendaire « forêt de mats » célébrée par tous les poètes ».
Les diligences qui caractérisent Etienne Martin dans ses œuvres majeures, suscitent des fantasmes de lenteur et de retour au passé. A la différence des impressionnistes qui multiplient la représentation des trains, des gares, symboles de modernité par l’association du progrès industriel, Etienne Martin se démarquant de ses compatriotes, Loubon, Crémieux, ou Camoin, manifeste son attachement aux anciens modes de locomotion ou de communication, faisant l’éloge des diligences, des chemins et des auberges.
La toile d’Etienne Martin repose, éclaire, égaye, elle fait participer le spectateur au plaisir que l’artiste a de peindre. Complémentaire des diligences est le thème récurent des routes et chemins, qui sert de trait d’union à sa double vie partagée entre mondanités marseillaises et rusticité dignoise. Sur ces routes « blanches » et « attirantes », Etienne Martin n’est plus un peintre ordinaire à la recherche du motif, mais un pèlerin absolu en quête de liberté qui témoigne d’une utopie d’une Provence éternelle.