Louis-Mathieu et André Verdilhan : Deux visages de la modernité en Provence

  • Louis Mathieu Verdilhan (1875-1928)

L’œuvre puissante de Mathieu, qui sut retenir l’attention d’André Suarès, en fait l’un des représentants les plus inspirés de l’école provençale moderne. Cependant, de la riche diversité de parcours pictural, le grand public connaît principalement la période des magistrales synthèses, de l’équilibre chromatique et structural des années 1920, où le peintre en pleine possession de ses moyens développe une surprenante grammaire plastique.

Autodidacte, Mathieu est un artiste à périodes, au tempérament isolé et personnel. Il ne tarit pas d’éloges sur les anciens maîtres provençaux : Emile Loubon, Paul Guigou ou encore Prosper Gresy, sans pour autant s’en influencer. S’attachant à rendre son œuvre moderne, il clame son admiration pour les peintres mystiques comme Le Gréco, Zurbaran et Van Gogh.

Paris et la Provence sont à l’origine de sa création, comme une bipolarité qui se poursuit tout au long de sa carrière. Ses premières expositions personnelles et publiques importantes ont lieu en 1902 à la Galerie Braun, puis en 1905 au Palais des Architectes, à Marseille, pour laquelle Léonce Guerre écrit dans sa préface au catalogue de l’exposition : « Mosaïques mouvantes simulant des terrains aux végétations vivaces… Les couleurs crient ou râlent, la pâte se coagule en lourds caillots, se hérisse en stalactites rugueux ». 1902 est une date symbolique qui marque son itinéraire par la perte de son oeil gauche.

Il participe au Salon des Artistes Indépendants en 1906 et dès 1908 au Salon d’Automne. Il réalise des toiles où se développent de somptueuses symphonies chromatiques, avec un goût prononcé pour les ambiances crépusculaires.

C’est à Allauch qu’il découvre le fauvisme et c’est à Versailles qu’il peint, à la demande de Joachim Gasquet, des toiles où il délaisse l’espace illusionniste et diffus des impressionnistes pour rythmer sa composition par de larges aplats, affirmant ses préoccupations de coloriste et de moderniste. Les formes se galbent, se courbent, se convulsent et signalent son appartenance au courant baroque et confèrent au fauvisme une tonalité propre aux accents du midi où matière et couleur abondantes et chaudes contrôlent leur fusion.

Avec Auguste Chabaud, Pierre Girieud ou Alfred Lombard, Mathieu Verdilhan permet d’inscrire Marseille au côté de Paris et Munich dans la grande bataille pour la modernité du début du XXème siècle. Aux Martigues et chez le collectionneur Edouard Latil, dégagé du bleu de Prusse des impressionnistes, du jaune de chrome des fauves, il aligne les orthogonales déstructurantes des expressionnistes.

Ses rencontres avec des personnalités averties disposées à le soutenir comme Joachim Gasquet, Albert Marquet et Antoine Bourdelle sont déterminantes dans le déroulement de sa carrière, ce dernier lui organise sa grande exposition de La Licorne en 1920. La palette s’éclaire, les formes se déploient, larges et harmonieuses, et le chromatisme soutenu de ses aplats est personnalisé par des empattements généreux.

Ses motifs reprennent une Provence marine, ses sujets de prédilection : le Vieux-Port, pris sous toutes ses faces, Toulon, Cassis, Martigues, et une Provence intérieure, comme les champs, les parcs, les vallons de l’Huveaune et les villages provençaux.

En 1925, Mathieu décore l’Opéra de Marseille et il devient un an plus tard l’un des rares peintres français à avoir bénéficié, de son vivant, du prestige d’une exposition new-yorkaise. A cette époque, il parvient à une étonnante richesse expressive, comme une sorte de consécration suprême marquant la fin et l’aboutissement de cette période « lumineuse ». 1926 est l’année charnière où la palette s’assombrit : les couleurs vives font place à un camaïeu brunâtre.

  • André Verdilhan (1881-1963)

Le talent d’André est polymorphe, tout à la fois sculpteur, modeleur et auteur, en tant que peintre de savoureuses « scènes de genre », qui évoquent l’univers de Francis Carco. « André est amoureux de « son » Marseille et de cette foule grouillante, qui gravite sur le port. C’est un homme un peu fruste à l’âme sensible, un homme généreux envers autrui, donnant de son temps pour les malheureux » ; c’est ainsi que le décrit Louis Audibert dans un article du Marseille libre de 1932.

André suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille dirigée par Alphonse Moutte et se distingue plus particulièrement à la sculpture. Parti très tôt à Paris, il continue sa formation aux côtés du sculpteur italien, Filippo Calarossi. La sculpture est pour lui un véritable art, qu’il réalise avec force et puissance. Tel un artiste qui maîtrise parfaitement la matière et suit son instinct personnel pour retranscrire toute l’émotion du sujet réalisé.

Son oeuvre sculptée est dans l’ensemble dédiée aux travailleurs, mineurs, aux petites gens démunis et dans certaines toiles, c’est avec un grand réalisme et une certaine naïveté qu’il reproduit en toute sincérité des scènes déconcertantes de vérité.

Hormis pour quelques rares toiles, sa palette se décline en tons clairs, lumineux mais jamais utilisés purs. Ses œuvres sont parfois réalisées dans une même conception que celle de son frère Mathieu, mais dans une palette beaucoup moins chromatique. A ses débuts, sans doute sous l’influence de celui-ci, il utilise ses couleurs en touches courtes et pâteuses dans des tonalités très variées. Mais très vite son geste s’allongera, sa pâte disparaîtra, un cerne sombre soulignera son sujet comme le ferait un dessinateur. 
Sa mise en page toujours très bien équilibrée est mise en valeur par une multitude de détails soigneusement placés, par des cadrages et des angles de vues inhabituels. C’est en cela que l’œil du sculpteur, toujours en quête d’équilibre des volumes, complète la vision du peintre.

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